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L’avenir de la santé en Afrique

10 Mai 2018
Au cours de l’année écoulée, de nombreuses discussions ont porté sur l’orientation des voies à suivre en vue de garantir la santé pour tous en Afrique. Le Premier Forum de l’Organisation mondiale de la Santé sur la santé en Afrique, qui avait pour thème « Les populations d’abord : la route vers la couverture sanitaire universelle » et était organisé à Kigali au Rwanda les 27 et 28 juin 2017, a ainsi défini le contexte dans lequel s’opérera cet effort. L’Institut Universitaire de Genève a encouragé la poursuite de la discussion sur le sujet en organisant une table ronde sur le thème « L’avenir de la santé en Afrique », le 23 janvier dernier.

Les échanges se sont poursuivis les 8 et 9 mars 2018, lorsque les gouvernements et un large éventail d’organisations non-étatiques se sont réunis à nouveau à Kigali, Rwanda, à l’occasion d’une conférence sur les cadres réglementaires en faveur de l’obligation de rendre compte dans le système de santé, organisée par le Centre des objectifs de développement durable pour l’Afrique (SDGC/A).

Le Dr Belay Begashaw, Directeur général du Centre, a déclaré dans son discours de bienvenue que « malgré les déclarations et objectifs de la communauté internationale, les engagements et les promesses des gouvernements, les appels, les mesures prises et les interventions ciblées, de nombreux problèmes de santé pourtant éradiqués dans d’autres régions du globe continuent de gangréner l’Afrique ».

L’inertie des gouvernements est au cœur même de cette situation préoccupante, alors que des mesures plus que nécessaires devraient être prises pour financer la santé et donner les impulsions requises en vue de mettre en place des systèmes de santé résilients. Mme Zouera Youssoufou, Directrice exécutive de la Fondation Dangote, a d’ailleurs mis les choses en perspective : « Nous savons que le financement des soins de santé relève des gouvernements, mais ceux-ci ont malheureusement confié ce devoir et cette responsabilité au secteur privé et à des bailleurs de fonds privés ».

Ainsi que l’a fait observer l’OMS lors de son Premier Forum sur l’Afrique l’an dernier, « L’accès équitable aux soins de santé et à la prévention reste un objectif lointain dans la plupart des pays » du continent, alors même que les défis posés par les « vieux ennemis » comme le VIH, la tuberculose et le paludisme sont exacerbés par de « nouvelles menaces » telles que les maladies non transmissibles (MNT), l’urbanisation et le changement climatique. Et en dépit des progrès accomplis en matière de santé maternelle et infantile, plus de la moitié de tous les décès maternels évitables dans le monde surviennent en Afrique.

Le besoin de solutions « locales » apparaît comme un motif récurrent de ce nouveau discours sur la situation très préoccupante de la santé en Afrique et les options qui permettront d’y remédier. Mais même s’il est largement admis que les gouvernements doivent se mobiliser davantage, les solutions dites « locales » s’appuient en fait sur des partenariats public-privé (PPP).

Comme l’a dit le philosophe chinois Lao-Tseu, « un voyage de mille lieues commence toujours par un premier pas ». Mais ce premier pas doit être engagé dans la bonne direction. Les PPP s’inscrivent dans le cadre du vaste panel de politiques et de pratiques néolibérales qui ont mis un frein au développement de l’Afrique au cours des premières décennies de son indépendance. Le but premier d’une entreprise, même dans le cadre de « partenariats » avec les gouvernements, est d’engranger des bénéfices.

L’argument selon lequel les États africains ne disposent pas de ressources suffisantes pour fournir des soins de santé publics universels revêt non seulement un caractère idéologique, mais il omet également de situer le problème dans son véritable contexte.

Dans la Déclaration d’Abuja d’avril 2001, les chefs d’États et de gouvernements africains se sont engagés à consacrer chaque année au moins 15 % de leurs budgets nationaux à la santé. Dix-sept ans plus tard, moins de 10 % des pays d’Afrique ont honoré cet engagement. Le Rwanda, qui ne compte pas parmi les plus riches, en fait partie. Pendant ce temps, les fonctionnaires élus au Kenya et au Nigeria figurent parmi les mieux payés au monde, mais ne répondent pas aux objectifs énoncés dans la Déclaration d’Abuja.

Le principal problème réside dans le faible niveau de priorité qu’accordent les gouvernements à la santé en termes réels, plutôt que dans un manque de ressources.

 

Mais ce constat ne minimise pas pour autant l’ampleur des difficultés budgétaires que rencontrent les gouvernements africains. Et c’est précisément le contexte à l’origine de ces difficultés financières que nous devons à présent comprendre et transformer.

Ce contexte présente deux aspects fondamentaux : d’une part le rétrécissement de l’espace budgétaire des gouvernements qui se trouvent aujourd’hui sous le diktat des institutions financières internationales, et d’autre part les flux financiers non réguliers (notamment, mais sans s’y limiter, les flux financiers illicites) qui quittent l’Afrique, sous la baguette des sociétés transnationales.

Les réformes économiques prônées par le Fonds monétaire international (FMI), promouvant des coupes dans le financement de la santé publique, ont porté atteinte à l’état de préparation aux crises des systèmes de santé déjà fragiles. Cela a contribué de manière significative aux ravages causés en 2014 par l’épidémie d’Ebola en Guinée, au Liberia et en Sierra Leone.

Le Rapport du Groupe de haut niveau sur les flux financiers illicites en provenance d’Afrique (Union africaine/ Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique), présidé par Thabo Mbeki, l’ancien président sud-africain, révèle que l’Afrique a perdu plus de 1 000 milliards de dollars américains du fait des flux financiers illicites au cours des cinquante dernières années et continue aujourd’hui de perdre plus de 50 milliards de dollars par an. Une fraction de ce montant suffirait pour garantir l’accès universel à des soins de santé publics de qualité, sans recourir à des prêts ou au soutien philanthrocapitaliste.

Pour un avenir garantissant la santé pour tous en Afrique, nous n’avons pas besoin de partenariats favorisant directement les intérêts privés à but lucratif, ou agissant indirectement par l’entremise des plateformes philanthrocapitalistes ; les gouvernements devraient plutôt se montrer à la hauteur de la responsabilité qui leur incombe de fournir un financement adéquat et un environnement propice à la santé publique. La justice fiscale doit elle aussi être promue en vue de mobiliser des ressources nationales.

Les PPP pourraient sans doute apparaître comme une solution à court terme. Mais leur impact négatif sur la prestation des soins de santé pourrait bien ne pas se faire sentir dans toute son ampleur avant plusieurs dizaines d’années. Les gouvernements de pays comme le Royaume-Uni, qui ont été parmi les premiers à défendre le modèle du PPP dans les années 80, critiquent à présent le coût de ces initiatives de financement privé. Ils continuent pourtant de promouvoir ce modèle défaillant en Afrique et dans d’autres régions du monde en développement, conformément aux révélations d’un rapport sur la campagne pour l’annulation de la dette « Jubilee Debt campaign » publié en fin d’année dernière.

Concédant, à la surprise générale, que « les partenariats public-privé présentent de multiples insuffisances et des avantages limités », la Cour des comptes européenne a déclaré récemment que « les partenariats public-privé (PPP) cofinancés par l’UE ne peuvent être considérés comme une option économiquement viable pour la fourniture d’infrastructures publiques ». Quoi de plus accablant que cette affirmation pour écarter concrètement les PPP de tout effort de conceptualisation d’un avenir prospère pour la santé en Afrique.

Les décideurs peuvent en revanche s’inspirer d’une nouvelle étude publiée dans le British Medical Journal en mars 2018. Celle-ci s’appuie sur une intervention pilote de gestion communautaire proactive déployée sur une période de sept ans, pour démontrer que l’extension des soins médicaux gratuits universels (« free healthcare to everyone ») est à la fois possible (même dans l’un des pays les plus pauvres d’Afrique) et nécessaire pour parvenir à une amélioration significative des résultats en matière de santé.

La santé est un droit humain fondamental et ne peut être réalisé en tant que tel qu’au travers d’un système de services de santé publics universels, empêchant que des enfants, des femmes et des hommes ne meurent parce qu’ils n’ont pas les moyens de se payer des soins de qualité ou ne se retrouvent acculés à la faillite pour faire face à des dépenses de santé.

Il convient d’abandonner le modèle néolibéral du « maldéveloppement », qui place le profit au-dessus du peuple, pour un modèle social de développement durable accordant la priorité à l’individu. L’ISP et ses affiliés en Afrique et à travers le monde s’y engagent. Nous continuerons de mobiliser dans cette direction pour un avenir meilleur. Notre santé n’est pas à vendre. 

Cet article est extrait de Bulletin d’information « Droit à la Santé », numéro 04 (avril/mai 2018). Abonnez-vous au bulletin. Envoyez-nous vos articles.

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