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Par Jasper Goss*
En 2016, il est important de commémorer la grève de février, pas seulement parce que ceux/celles qui ont protesté ont plus tard été torturé(e)s, parfois même exécuté(e)s, mais surtout parce que nous devons nous poser une question fondamentale : en tant que syndicats et membres du mouvement syndical, quel rôle devons-nous jouer ? Sommes-nous prêt(e)s à prendre les risques nécessaires pour affronter la résurgence du racisme et du sentiment d’appartenance nationale qui, alimentée par les politiques d’austérité, gangrène toute l’Europe et d’autres régions du monde ?
En dehors des Pays-Bas, rares sont ceux qui se souviennent de la grève de février. Cette grève fut lancée le 25 février 1941 par les conducteurs/trices de trams et les dockers syndiqué(e)s d’Amsterdam en réaction au nombre croissant de pogroms soutenus par les fascistes à l’encontre des juifs, et l’établissement d’un ghetto un mois auparavant. De façon plus large, il s’agissait d’un acte provocateur de résistance face à l’occupation nazie aux Pays-Bas.
Au cours de cette journée, la grève gagna rapidement en ampleur. Les grévistes furent rejoint(e)s par les travailleurs/euses d’autres services publics, suivi(e)s des travailleurs/euses du secteur privé. Des écoles fermèrent leurs portes, des magasins baissèrent le rideau. Le lendemain, le mouvement parti d’Amsterdam se propagea à d’autres grandes villes, dont Kennemerland, Bussum, Hilversum ou encore Utrecht.
Le 27 février, la réaction immédiate des nazis mit fin à la grève. Si ce mouvement de protestation ne parvint pas à atteindre son objectif premier de protéger les juifs des Pays-Bas, il constitua toutefois le premier acte collectif de résistance civile jamais organisé contre le fascisme au sein de l’Europe occupée. Les participant(e)s à la grève allaient bientôt rejoindre la résistance clandestine. Ce mouvement inspira d’autres grèves contre l’Occupation, pas seulement aux Pays-Bas, mais aussi en Grèce, au Danemark, en France, en Norvège et en Belgique.
Aux Pays-Bas, cette grève est commémorée chaque année. En 2016, il est important d’honorer et de ne pas oublier la grève de février – et pas seulement parce que ceux/celles qui ont protesté lors de cette journée ont plus tard été harcelé(e)s, arrêté(e)s, torturé(e)s et même exécuté(e)s. Notre devoir n’est pas d’attirer l’attention sur les actes de grévistes comme nous le faisons pour certains événements historiques lointains, que l’on dépoussière pour satisfaire notre nostalgie collective, puis qui retombent rapidement dans l’oubli.
Nous devons au contraire nous intéresser aux actions en elles-mêmes : face à la suprématie de l’occupant, au déploiement de toutes les forces du Reich et de ses collaborateurs fascistes à l’échelle locale contre les grévistes, c’est ce moment précis qu’ils ont choisi pour faire preuve de résistance.
Il n’est jamais trop tard pour résister, pour changer le cours de l’histoire, pour appeler d’autres camarades à faire converger leurs forces. La graine de la résistance peut germer et faire des émules – une action tuée dans l’œuf peut inspirer plus tard d’autres personnes à agir. Si, pendant la Seconde Guerre mondiale, les mouvements de résistance ont dû faire face à une répression brutale, leurs actions ont conduit à la chute du fascisme-même.
Dans ce contexte, à l’occasion de l’anniversaire de la grève de février, nous devons nous poser une question fondamentale : en tant que syndicats et membres du mouvement syndical, que faisons-nous ? Sommes-nous prêt(e)s à prendre les risques nécessaires pour affronter la résurgence du racisme et du sentiment d’appartenance nationale qui, alimentée par les politiques d’austérité, gangrène toute l’Europe et d’autres régions du monde ? Sommes-nous prêt(e)s, en toute lucidité, à lutter contre les conditions matérielles et les décisions politiques qui ont poussé de nombreux travailleurs/euses à se détourner des politiques progressistes, pour rejoindre les rangs de la droite et de l’extrême droite ? Sommes-nous vraiment prêt(e)s à nous battre contre la perte du droit de grève, qui ne cesse de se réduire comme peau de chagrin depuis des années ?
Notre époque actuelle vient clairement menacer l’existence même des syndicats en tant qu’acteurs sociaux progressistes, capables de transformer les relations de pouvoir dans l’intérêt des travailleurs/euses. La montée considérable du racisme et des mouvements antiréfugié(e)s reflète le long déclin des mouvements syndicaux depuis les années 80.
Cela ne signifie pas pour autant que les syndicats seront voués à disparaître par des répressions politiques analogues aux décisions fascistes des années 30. La longue histoire de la résistance des travailleurs/euses montre qu’une telle situation est peu probable. En revanche, ce qui est possible, et comme le laissent présager les tendances actuelles, c’est que le mouvement syndical soit neutralisé, rendu politiquement et professionnellement inefficace, voire inutile.
Les forces qui s’opposent au mouvement syndical ne souhaitent pas négocier en faveur d’un partage plus équitable des richesses mondiales. Face à la rentabilité stagnante du secteur privé, les entreprises sont déterminées à faire main basse sur l’argent public et à dépouiller les services publics, en vue de s’assurer des bénéfices. Au regard de l’évasion fiscale généralisée des grandes entreprises, les lobbyistes soutiennent désormais ouvertement que les multinationales ne devraient pas payer d’impôts. Depuis la crise financière mondiale, les politiques d’austérité ont décimé les services publics et contribué à un niveau sans précédent de transferts publics vers le secteur financier privé. Les responsables politiques de droite profèrent des mensonges éhontés et des vérités erronées.
Est-il surprenant de constater que le racisme et le nationalisme viennent alimenter ces politiques incendiaires ?
Comme il y a 75 ans, pendant la guerre, comme durant la lutte contre l’apartheid en Afrique du Sud, comme lors des mouvements en faveur des droits civiques aux Etats-Unis, les syndicats ont un rôle stratégique à jouer. Pour réduire les inégalités raciales et l’injustice, il est stratégiquement nécessaire de revendiquer des sociétés dans lesquelles la population tout entière jouit du droit à l’éducation, aux soins de santé, au logement, à l’énergie et à l’eau, en tant que services publics.
A l’heure où nous faisons face à la plus grande crise des réfugié(e)s depuis la Seconde Guerre mondiale, la question n’est pas de savoir si nous pouvons nous permettre de traiter ce problème, mais plutôt de savoir si nous pouvons nous permettre de ne pas le faire.
Si, en tant que syndicats, nous ne parvenons pas à faire le lien entre la montée du racisme et de la xénophobie, et les conditions matérielles des inégalités générées par la privatisation des services publics, les motivations commerciales des entreprises, l’évasion fiscale, la corruption et les politiques d’austérité, alors les travailleurs/euses continueront d’être laissé(e)s pour compte.
Pour combattre le racisme et défendre les réfugié(e)s, nous devons étendre les services publics et ramener la démocratie au cœur de nos sociétés.
Sur les tracts qui appelaient les citoyen(ne)s néerlandais(e)s à débrayer en février 1941, on pouvait lire :
« Soyez conscient(e)s de l’incroyable force de notre action collective »
Aujourd’hui, rendons hommage à leur incroyable force. Et demain, n’oublions pas le potentiel de notre incroyable force.
* Jasper Goss, Coordinateur du développement syndical, ISP