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La démarche ainsi initiée par l’Organisation des bénévoles de la santé du Népal (HEVON) et l’Association des bénévoles de la santé du Népal (NEVA) est remarquable, compte tenu des divergences politiques marquées entre les fédérations dont relèvent ces deux syndicats.
On dénombre actuellement plus de 52 000 femmes employées en tant qu’agents de santé communautaires bénévoles au Népal, dans les zones rurales et semi urbaines où elles fournissent des services de maternité sans risques, de santé de l’enfant, de planification familiale et de vaccination. Ces femmes s’occupent également de cas d’infections des voies respiratoires inférieures et dirigent les cas plus complexes vers les établissements de santé. Chaque bénévole assure ainsi des services à quelque 125 foyers, représentant près de 600 personnes. Les femmes bénévoles constituent le lien essentiel entre les populations vulnérables des communautés rurales et pauvres et le système de santé formel.
Malgré des horaires de travail irréguliers en raison des situations d’urgence et un temps de travail quotidien d’environ 6 heures, jusqu’à six jours par semaine, les femmes bénévoles ne perçoivent aucun salaire et ne bénéficient que de mesures d’incitation limitées, à l’instar d’une indemnité d’habillement annuelle, une indemnité de collation lors des formations et une indemnité au cours des campagnes de vaccination. Au total, ces indemnités représentent moins de 10 pour cent du salaire minimum légal au Népal, qui est de 9 700 roupies népalaises (75 euros).
Le Pakistan et l’Inde proposent eux aussi des services de santé communautaires à grande échelle dans le cadre d’un programme faisant appel à une main-d’œuvre non permanente, non rémunérée. Mais les conditions au Népal sont bien moins bonnes. Le gouvernement népalais invoque l’esprit de bénévolat qui caractérise la société népalaise, la propension présumée naturelle des femmes à prendre soin de leurs familles et leurs communautés, et l’absence d’une quelconque intention de tromper les travailleuses dès lors que celles-ci savent d’emblée qu’elles ne sont que bénévoles. Les femmes bénévoles affichent cependant leur conviction croissante quant à la légitimité de leurs demandes de reconnaissance en tant qu’agents du système de santé, comme elles l’ont démontré lors d’une réunion publique tenue par l’ISP à Katmandou, le 12 janvier.
La réunion organisée au Népal sur le thème « Les défis posés aux femmes agents de santé communautaires bénévoles : ce que nous apprend l’Asie du Sud », a accueilli des participant(e)s issus du Pakistan, de l’Inde et de Finlande. Des représentants du gouvernement ont tenté de justifier la situation actuelle, mais les femmes bénévoles présentes dans la salle ont immédiatement contesté leurs interventions.
Bal Krishna Suvedi, ancien directeur de la Division de la santé familiale, de la Division de la redynamisation des unités de soins de santé primaires et de la Division des politiques, de la planification et de la coopération internationale, a rappelé aux participant(e)s l’origine des programmes, ancrés dans l’histoire du bénévolat en période de catastrophes – comme lors des tremblements de terre. Poursuivant cette analogie, il a évoqué la catastrophe sanitaire représentée par les taux de mortalité maternelle et infantile dans les régions reculées, et le rôle des bénévoles actuels pour répondre à ces situations. La Vice-présidente de la NEVA, Gita Thing, a rebondi sur ces propos en soulignant la distinction entre les interventions en cas de catastrophe, qui répondent à des besoins ponctuels, et la mission des femmes bénévoles qui s’acquittent d’une charge de travail annuelle et mensuelle régulière et rendent compte mensuellement à l’établissement de santé local dont elles relèvent. « Nous sommes fières du rôle que nous jouons au sein de notre communauté et de notre contribution à la sauvegarde des vies humaines. Mais nous ne voulons pas être considérées comme des héroïnes ; nous voulons simplement avoir accès aux équipements de base qui nous permettent d’accomplir notre travail et jouir des droits qui sont associés à notre statut d’agents du système de santé publique », a-t-elle déclaré.
Raman Dilli Adhikari, Directeur adjoint du Département de la santé familiale, ministère de la Santé et de la Population du Népal, a évoqué le rôle crucial joué par les femmes bénévoles dans le contexte d’une sévère pénurie de personnel de santé qualifié, en particulier dans les zones reculées de la région de l’Himalaya. « Dans les montagnes, les agents féminins de santé communautaires sont de véritables médecins pour leurs communautés. Elles représentent les personnels de santé les plus accessibles au sein de leurs communautés », a-t-il déclaré. Il a ensuite évoqué les facteurs de motivation ainsi que le soutien en nature et en espèces proposé par le gouvernement à l’endroit des femmes bénévoles. Le soutien en nature inclut la mise à disposition de bicyclettes, de parasols et d’un sac. Pourtant, 8 pour cent à peine des bénévoles reçoivent un tel soutien. Eu égard aux allocations en espèces, Adhikari a soutenu que l’indemnité d’habillement, l’indemnité de collation durant les formations et l’indemnité accordée lors des journées de vaccination ont fait l’objet d’augmentations régulières et s’élèvent à présent à 7000 roupies par an, 150 roupies par jour et 400 roupies par jour, respectivement. Bagawati Ghimire, Présidente de HEVON, a pris la parole pour souligner l’insuffisance de ce soutien. « Une indemnité d’habillement annuelle, c’était suffisant dans les années 90 mais plus dans le contexte économique actuel. Aujourd’hui, nous avons besoin d’un salaire pour faire vivre nos familles », a-t-elle affirmé.
Les représentants des centrales syndicales nationales de la Fédération générale des syndicats népalais (GEFONT) et du Congrès des syndicats népalais (NTUC) ont exprimé leur soutien à la demande des travailleuses d’être reconnues en tant que telles. Le chercheur Bijoya Roy a fait savoir que des programmes similaires existaient dans d’autres pays d’Asie du Sud où les gouvernements, sous la pression des syndicats, avaient accédé à certaines des revendications des agents de santé. Tel est le cas par exemple du Pakistan, où le statut de travailleuses des Lady Health Workers (LHW) a été reconnu et où celles-ci sont à présent considérées comme des employées permanentes. Les LHW perçoivent aujourd’hui une rémunération égale au salaire minimum en vigueur, à savoir 15 000 roupies par mois (soit 110 euros).
À l’heure actuelle, trois syndicats représentent les femmes agents de santé communautaires bénévoles au Népal. La NEVA, enregistrée en 2009, et la Female Health Worker Association, FeHWA ou Mahila Swasthya Sebika Shramik Sangh, enregistrée en 2012, ont contribué à l’augmentation régulière du niveau d’indemnité versé à ces femmes bénévoles, et ont notamment favorisé la mise en place d’une indemnité d’habillement annuelle ; sous l’effet de leur action, le gouvernement a remis aux travailleuses une carte d’identité accréditée par le ministère de la Santé et de la Population. La NEVA compte à présent 5 000 membres. Enregistré en 2016, le HEVON est le dernier-né de ces syndicats et compte 12 000 membres n’acquittant aucune cotisation. Il constitue une section syndicale relevant de l’Organisation des professionnels de la Santé du Népal (HEPON), représentant les intérêts d’un groupe qui avait souhaité travailler de façon plus ciblée sur les questions spécifiques à cette catégorie de travailleurs/euses bénévoles de la santé. Au cours de l’année passée, la NEVA et le HEVON se sont unis afin d’organiser des événements dans différentes régions du pays, ce qui les a décidé à poursuivre sur cette lancée commune et à élaborer une série de revendications conjointes.
Le Népal connaît une période de transition : son système de gouvernance est en cours de restructuration, en passe de devenir une démocratie fédérale constituée d’une Union regroupant sept provinces. Lors des élections tenues fin 2017, une coalition de gauche a balayé le parlement, laissant entrevoir l’espoir que le nouveau gouvernement accorde la priorité aux questions sociales, y compris la santé. On ne sait toutefois pas encore dans quelle mesure la répartition des responsabilités entre l’Union et les provinces se répercutera sur la structure de l’emploi des femmes bénévoles et en quoi elle affectera la demande de régularisation de leur situation. Les syndicats doivent accroître leur force organisationnelle au niveau provincial.
Par ailleurs, des experts en santé publique ont soulevé des inquiétudes quant au fait que l’octroi de salaires décents en faveur des femmes bénévoles aura une incidence sur la viabilité du programme compte tenu des ressources actuellement limitées. Le programme des femmes agents de santé communautaires bénévoles est entièrement financé par l’aide internationale. Les syndicats devront démontrer comment ces ressources peuvent être mobilisées et recueillies. Actuellement, les filiales de sociétés étrangères opérant au Népal profitent de taux d’imposition très faibles. Les revendications en matière de justice fiscale pourront susciter l’émergence d’une plus vaste coalition, qui inclurait d’autres travailleurs/euses du système de santé publique ainsi que le mouvement progressiste de la société civile, aux côtés des femmes bénévoles, dans le contexte d’une dynamique en faveur de services de santé publique universels et de qualité.
Enfin, la nécessité de renforcer la confiance des agents de santé communautaires pour leur permettre de faire valoir la légitimité de leurs revendications et rallier le soutien d’un public plus large, en particulier au sein de leurs communautés, constitue un défi majeur. Du fait de faibles niveaux d’alphabétisation, les femmes bénévoles ne se sentent pas aptes à réclamer un emploi formel dans un contexte où l’économie est dominée par l’informalité et le sous-emploi généralisé. Du fait de la nature hautement informelle de leur travail, les femmes agents de santé communautaires bénévoles s’identifient difficilement au travailleur, tel qu’il est communément perçu. Ces doutes pourront être levés à travers l’échange avec ces femmes – un défi auquel devra s’atteler la direction des syndicats impliqués dans ce combat.
Cet article est extrait de Bulletin d’information « Droit à la Santé », numéro 04 (avril/mai 2018). Abonnez-vous au bulletin. Envoyez-nous vos articles.