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Par Bengt Rolfer - Journaliste indépendant
Des sommes astronomiques disparaissent grâce à l'évasion fiscale et à la fuite des capitaux, notamment dans les pays en développement. Au total, les recettes fiscales manquantes en Afrique se révèlent plus élevées que le montant global d'aide au développement perçu par le continent : de l'argent qui pourrait contribuer à améliorer les services publics.
Cependant, il existe des méthodes permettant de contrôler l'évasion fiscale et de transformer les politiques fiscales solides en outils de développement mondial. Cette observation ressort d'un séminaire organisé le 16 octobre dernier par le syndicat des fonctionnaires suédois (ST) dans les bâtiments de l'Administration fiscale de Suède, à Solna, et intitulé « Impôts et développement mondial – quelles interactions ? ».
Jusqu'à présent, l'évasion fiscale représente un problème qui ne cesse de s'aggraver. Penny Davies, conseillère principale en politique au sein de l'organisation humanitaire Diakonia, a déclaré que le volume des fuites de capitaux augmentait chaque année de 10 pour cent. Dans de nombreuses régions, il s'avère même plus élevé que le produit intérieur brut du pays. Selon l'organisation Global Financial Integrity, un total de 947 milliards de dollars a disparu des pays en développement au cours de l'année 2011.
« La plupart de cet argent disparaît des pays moyennement développés, tels que la Russie, la Chine ou le Mexique, mais, en termes relatifs, c'est l'Afrique qui représente la région la plus touchée. Somme toute, les montants détournés sont sept à dix fois supérieurs à l'argent versé par les pays riches pour aider ces pays. Cet argent pourrait être utilisé d'une façon bien différente et plus utile, et pourrait également permettre de réduire la dépendance vis-à-vis de l'aide », a ajouté Penny Davies.
Sur le volume total des fuites de capitaux, un peu moins des deux tiers résultent de l'évasion fiscale, sous différentes formes. Si le dernier tiers est lié aux activités criminelles, seuls quelques pour cent sont le fruit de la corruption.
Les entreprises multinationales en ont été reconnues comme les principales coupables. Elles utilisent une sorte de prix de transfert afin d'éluder les impôts. Selon Penny Davies, les fausses factures constituent également une pratique courante.
La conseillère a proposé trois plans d'action pour remédier aux fuites de capitaux les plus courantes. Avant toute chose, il est primordial de gagner en transparence.
Pour ce faire, il faudrait exiger des entreprises que leurs rapports d'activité soient élaborés pays par pays, ce qui permettrait alors de déterminer un niveau d'imposition raisonnable pour chaque pays. En effet, à l'heure actuelle, ces rapports englobent l’ensemble des pays.
Il a également été suggéré de dévoiler au grand public les bénéficiaires, à savoir les personnes qui amassent tout cet argent, et de multiplier les échanges d'informations entre les pays du monde entier en matière d'imposition.
Penny Davies a souligné que ces propositions faisaient déjà l'objet de négociations dans différents contextes, notamment au sein de l'Union européenne ou des sommets du G20.
« Les choses bougent, mais on en vient parfois à oublier que les pays en développement sont les plus touchés », a ajouté la conseillère.
Bernard Adjei, membre d'une organisation sœur de la ST au Ghana et militant pour la Campagne en faveur de la justice fiscale au Ghana, figurait également au nombre des participant(e)s. Il a une nouvelle fois insisté sur la réputation de « perdants » propre aux pays en développement, notamment sur le continent africain.
« Des dérapages sont survenus. L'Afrique reçoit-elle de l'aide ou en apporte-t-elle au reste du monde ? », s'est enquis Bernard Adjei, avant d'illustrer ce « monde qui ne tourne pas rond » par le biais de chiffres.
Chaque année, une enveloppe de 134 milliards de dollars d’aide est allouée au continent africain. Parallèlement, 192 milliards de dollars disparaissent sous la forme de recettes fiscales perdues.
« De nombreux calculs ont été effectués, et la plupart d'entre eux démontrent que le continent perd entre 50 et 60 milliards de dollars par an. Cet argent pourrait permettre d'améliorer la qualité des services publics », a déclaré Bernard Adjei.
M. Adjei a énuméré différentes retombées négatives, telles qu'une baisse de la croissance et une raréfaction de l'emploi, une tendance négative en matière de développement des logements et des infrastructures, ainsi que des menaces en matière de sécurité et un affaiblissement de l'exercice du pouvoir.
Au Ghana, les syndicats se sont également engagés dans la Campagne en faveur de la justice fiscale. Aux côtés d'Action Aid, ils ont recueilli des informations sur les entreprises qui trichaient sur les prix et déclaraient des pertes afin de se soustraire à l'impôt national.
« L'imposition est considérée comme une problématique technique, mais les syndicats ont toujours lutté en faveur de la justice, et nous devons également faire pression pour appuyer cet objectif. Rien n'est plus injuste que de voir les travailleurs/euses payer plus d'impôts que les entreprises », a déclaré Bernard Adjei.
Les pays développés ont également tout intérêt à protéger leur base d'imposition. Anette Erling Jivenius, chargée d'affaires à l'Administration fiscale de Suède, a ensuite abordé le projet BEPS (Érosion de la base d'imposition et transfert de bénéfices) de l'OCDE visant à lutter contre les possibilités de transfert de bénéfices et d'érosion des bases d'imposition grâce aux normes internationales.
La collaboration transfrontalière dans le domaine de la fiscalité s'opère à différents niveaux. À cet effet, la Suède a notamment conclu des accords d'échange d'informations avec d'autres pays. Anette Erling Jivenius a souligné l'importance d'une mise en œuvre concrète de ces accords. « Une collaboration au niveau des agences s’avère également nécessaire », a-t-elle ajouté.
L'Administration fiscale de Suède mène actuellement des projets de développement destinés à l'élaboration de systèmes fiscaux efficaces au Botswana, au Kenya, au Kosovo et en Moldavie.
La modératrice du séminaire, Maud Johansson de Forum Syd, a indiqué que des impôts moins élevés permettaient à de nombreux pays en développement d'attirer les investisseurs. Un pays tel que le Ghana osera-t-il adopter des mesures strictes, et les normes internationales l'aideront-elles à cet égard?
À cette question, Bernard Adjei a répondu qu'aussi longtemps qu'une multinationale quelconque détiendra un « PIB » supérieur à celui de plusieurs pays d'Afrique réunis, des systèmes devront être mis en place afin de faire pression sur les gouvernements.
« Dans quel but ces dégrèvements fiscaux sont-ils accordés ? Je suis ravi de constater que l'Union Africaine a décidé de soutenir ces solutions mondiales. Cette démarche permettra de faire bouger les choses », a déclaré Bernard Adjei.
Penny Davies a ajouté que le problème majeur résidait dans les ressources détenues par les entreprises, qui sont bien plus élevées que celles des pays en développement.
« Cela n'a rien à voir avec la présence de partenaires égaux dans ces processus. Les entreprises exercent une influence considérable et la majeure partie d'entre elles s'opposent à la rédaction de rapports par pays. Le projet BEPS n'aborde pas cette problématique », a déclaré la conseillère.
« La plupart du temps, les entreprises respectent simplement les règles fiscales nationales. Est-il possible de leur en demander davantage? », a demandé Maud Johansson.
Penny Davies a répondu par l'affirmative, en mentionnant le travail accompli par de nombreuses entreprises en matière de RSE, en vue de devenir socialement responsables.
Et d'ajouter : « les impôts n'ont pas été directement considérés comme un problème de RSE, mais certaines entreprises vont bien plus loin que les dispositions prévues ».
Bernard Adjei a souligné que si les entreprises déclaraient toujours respecter les règles, il s'agissait surtout d'une question d'éthique.
« Les entreprises viennent en Afrique pour nous aider et s'approprient ensuite l'argent. Mais, honnêtement : quelles règles s'appliquent ? Les entreprises sont-elles responsables ? Cette approche ne fonctionne pas. Les règles sont édictées par des personnes, et si elles ne s'avèrent pas bénéfiques pour la société, elles doivent être modifiées », a ajouté le militant.
Maud Johansson a ensuite demandé pourquoi la Suède s'était opposée au renforcement des règles en matière de transparence à l'échelle européenne. Aucun représentant de l'ancien gouvernement comme du nouveau n'était présent. Et Penny Davies de répondre :
« Le gouvernement précédent s'y opposait. Cependant, Diakonia avait réalisé un sondage juste avant les élections et, à ce moment-là, la plupart des partis affichaient une position favorable. Depuis lors, nous avons un nouveau gouvernement. On verra ce que l'avenir nous réserve ».