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Protection des droits fondamentaux au travail dans les accords de libre-échange : un échec total ?

16 Avril 2018
Les accords de libre-échange (ALE) contiennent un chapitre sur le travail qui inclut un mécanisme de réclamation pour traiter les plaintes dans le domaine du travail, qui en dernière instance pourrait sanctionner la partie contrevenante. Il existe néanmoins un débat sur le fait que l’inclusion de ce chapitre sur le travail dans les ALE soit positif ou s’il ne fragilise pas la protection internationale des travailleurs/euses.

Les années 2000 ont connu un essor de l’adoption d’accords de libre-échange. Outre l’Accord de partenariat transpacifique de 2016, on dénombre environ 60 accords de libre-échange conclus jusqu’en 2013, dont 12 ont été signés par les États-Unis avec 17 pays entre 2004 et 2012. Ces accords sont notamment connus pour inclure un « chapitre du travail ». Ce n’est pas une nouveauté. En effet, les traités cousins (traités bilatéraux d’investissement), très populaires dans les années 1980 et 1990, en comprenaient déjà. La principale différence est, qu’à l’inverse des traités bilatéraux d’investissement, le chapitre du travail des accords de libre-échange a plus de poids : il inclut également un mécanisme de règlement des griefs permettant d’examiner les plaintes liées au travail et pouvant aboutir à une sanction du contrevenant.

Les résultats de ce mécanisme sont-ils positifs ?

Pour justifier le lien entre les dispositions en matière de commerce et de travail, il est souvent argué que celui-ci peut renforcer le statut des normes internationales de travail et encourager leur application. Par exemple, le gouvernement de la Malaisie a récemment indiqué qu’en tant que « signataire de l’Accord de partenariat transpacifique, [il] s’engage[ait] sur la voie de la réforme de la législation du travail » afin d’accorder des droits de négociation collective aux travailleurs du secteur public. [1]

À l’inverse, selon les détracteurs des accords de libre-échange, ces derniers sont décentralisés et n’exigent pas la même interprétation ou application, ce qui entraîne, dans le cas des législations du travail, une plus grande fragmentation dans la législation internationale du travail et constitue un frein aux tentatives du BIT d’améliorer la protection des travailleurs à l’échelle internationale. Cet argument est encore plus valable pour les pays ayant signé différents accords commerciaux avec autant de parties différentes.

Les États-Unis ont, au moins en partie, répondu à ces préoccupations i) en insérant des chapitres du travail très similaires dans tous les accords de libre-échange bilatéraux ou multilatéraux qu’ils ont signés, qui abordent les quatre droits fondamentaux ancrés dans la Déclaration de l’OIT relative aux principes et droits fondamentaux au travail et son suivi (Déclaration de l’OIT) de 1998, et ii) en faisant spécialement de la division de suivi et d’application des accords commerciaux (Monitoring & Enforcement of Trade Agreements Division – META) au sein du Bureau du département du commerce et du travail (Office of Trade and Labor Affairs – OTLA) du Département du travail (DOL) un « point de contact » unique qui reçoit et analyse les observations relatives au chapitre du travail des accords de libre-échange américains. Cette manière de procéder permet de garantir la cohérence dans l’application de la disposition en matière de travail.

Toutefois, une autre question qui suscite la controverse n’a pas été résolue. En effet, toute violation d’un chapitre consacré aux télécommunications ou à la propriété intellectuelle dans un accord de libre-échange est considérée comme une violation des droits des télécommunications et de la propriété intellectuelle au titre dudit accord. Néanmoins, la plupart des accords de libre-échange, y compris ceux signés par les États-Unis, stipulent qu’une violation du chapitre du travail n’est considérée comme telle que lorsque le manque de protection des droits fondamentaux du travail entrave les échanges. En d’autres termes, les plaignants ont la charge supplémentaire de devoir prouver et démontrer qu’une violation du droit du travail au titre de l’accord de libre-échange a une incidence sur l’activité transfrontalière et crée un avantage concurrentiel pour la partie qui commet l’infraction. Cela apparaît de manière plus évidente dans la décision du tribunal arbitral introduite dans In the Matter of Guatemala Issues Relating to the Obligations Under Article 16.2.1(a) of the CAFTA-DR [Affaire du Guatemala Questions relatives aux obligations en vertu de l’article 16.2.1(a) de l’Accord de libre-échange entre la République dominicaine et l’Amérique centrale].

Le cas du Guatemala

En 2008, la Fédération américaine du travail et le Congrès des organisations industrielles (AFL-CIO) ainsi que six syndicats guatémaltèques ont déposé, avec la META, une plainte contre le Guatemala. Ils accusaient le gouvernement guatémaltèque de manquement à ses obligations au titre de l’article 16.2.1(a) de l’Accord de libre-échange entre la République dominicaine et l’Amérique centrale (ALÉAC) s’agissant de l’application réelle de la législation du travail guatémaltèque en matière de liberté d’association, de droit de se syndiquer et de négocier collectivement, et de travail décent. La META a épuisé toutes les voies de procédure jusqu’en 2015, lorsque le gouvernement américain a finalement renvoyé l’affaire au Règlement des différends, ce qui en a fait le premier cas de violation de droit du travail à atteindre ce niveau dans le cadre d’un accord de libre-échange.

Le gouvernement américain a notamment fait valoir au tribunal que l’expression « de sorte à entraver les échanges » signifiait « sans rapport, incidence ou modification des activités économiques transfrontalières ni sans incidence sur les conditions de la concurrence entre les parties à l’ALÉAC », et que « le texte, le contexte ou l’objet et l’objectif de ALÉAC ne requièrent pas d’analyse économétrique des incidences sur le commerce de la non-application du droit du travail ». Les États-Unis ont également soutenu qu’il n’est ni raisonnable ni possible de démontrer les incidences réelles du commerce dans le contexte de conflits du travail au titre de l’ALÉAC. Ils ont fait remarquer qu’ils n’avaient pas accès aux livres et registres internes des entreprises guatémaltèques et que, par conséquent, ils estimaient que même s’il était possible d’identifier une réduction de prix d’un bien, il serait impossible de démontrer que l’origine de cette baisse était le non-respect de la législation guatémaltèque du travail. Les États-Unis ont également répété qu’il était conforme aux objectifs de l’article premier visant « à favoriser la concurrence loyale dans la zone de libre-échange » d’interpréter l’article 16.2.1(a) comme une interdiction pour une partie d’influencer les conditions de la concurrence entre les parties à l’ALÉAC en ne respectant pas la législation du travail. Enfin, les États-Unis ont déclaré qu’il n’était pas justifié de limiter une analyse des « conditions de la concurrence » aux situations qui nécessitaient une comparaison du traitement des produits nationaux et importés.

En juin 2017, le groupe spécial d’arbitrage a débouté le gouvernement américain et les syndicats, malgré les actes de violence à l’encontre des dirigeants syndicaux au Guatemala (66 morts au moment de la soumission initiale, 86 en septembre 2017) et malgré la lutte pour le respect des normes les plus fondamentales du travail. Le groupe spécial a en partie accepté les arguments américains sur la portée de l’expression « de sorte à entraver les échanges » et estimait qu’« un non-respect de la législation du travail d’une partie par le biais d’une action ou d’une inaction durable ou répétitive “entravait les échanges entre les parties” si cela engendrait un certain avantage compétitif pour un employeur ou des employés dans les échanges entre les parties ».

Toutefois, le groupe spécial estimait également qu’une autre exigence du chapitre du travail de l’ALÉAC n’était pas satisfaite. Il a déclaré qu’il n’existait aucune preuve que le Guatemala n’appliquait pas la législation du travail de manière « durable et répétitive ». La soumission initiale de l’AFL-CIO mettait (uniquement) en évidence cinq cas distincts selon lesquels le Guatemala n’aurait pas appliqué sa législation du travail en matière de droit à la liberté d’association, de droit de se syndiquer et de négocier collectivement, et de travail décent.

Le groupe spécial a estimé que les deux conditions (« entrave les échanges entre les parties » et « durable et répétitive ») étaient cumulatives. Il a expliqué qu’une violation de l’accord de libre-échange aurait pu être constatée si les deux conditions ne l’étaient (Accord de libre-échange entre l’Amérique centrale, les États-Unis d’Amérique et la République Dominicaine, Rapport final du groupe spécial, 14 juin 2017, par. 502). S’il en avait été décidé autrement, le groupe spécial aurait infligé une peine exemplaire, condamnant la violence à l’encontre des syndicats du Guatemala, qui aurait été conforme à la décision du Comité de la liberté syndicale de l’OIT, cas 2540 (351e rapport, novembre 2011, par. 894).

L’avenir du chapitre du travail dans l’accord de libre-échange

L’issue de l’affaire du Guatemala remet indéniablement en question la possibilité pour ce mécanisme de résoudre les conflits du travail dans le cadre des accords de libre-échange, ainsi que la volonté politique des États-Unis et d’autres pays à s’attaquer au fléau des violations systématiques du droit du travail.

Le retrait de l’administration Trump de l’Accord de partenariat transpacifique, sa renégociation de l’Aléna et l’annonce de sa volonté de mettre fin à l’accord de libre-échange entre les États-Unis et la Corée sonneront définitivement le glas du mécanisme de règlement des griefs du chapitre du travail... ou peut-être représenteront-ils une occasion de l’améliorer. Il s’agit là d’une fin ouverte.

Néanmoins, la société civile et du travail n’acceptera les accords de libre-échange que s’ils deviennent des outils efficaces qui permettent d’œuvrer en faveur des personnes et des échanges. Afin que les accords de libre-échange fonctionnent et bénéficient de la confiance des parties prenantes, leur chapitre du travail et leur mécanisme de règlement des griefs doivent s’appliquer indépendamment de l’incidence sur les échanges et doivent être liés aux conclusions issues des mécanismes de supervision de l’OIT. La violation de l’un des principes et droits fondamentaux du travail constitue une violation des droits de l’homme qui ne peut être soumise à une simple évaluation économique ou aux intérêts commerciaux des parties signataires.

À suivre.




[1]  BIT, Commission de l’application des normes de la conférence (2016), Compte rendu provisoire nº 16 (rev.) partie 2, 105e Conférence internationale du travail, p. 107, disponible sur http://www.ilo.org/wcmsp5/groups/public/---ed_norm/---relconf/documents/meetingdocument/wcms_489124.pdf (dernière consultation, 17 juillet 2016).

Voir aussi