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PROJET "ÉQUITÉ SALARIALE" AU TCHAD
Ce projet s’inscrit dans le cadre d’un projet beaucoup plus large, mis en route en 1995 par l’ISP, en collaboration avec ST (Suède), en Afrique francophone. Il reconnaît les différences fondées sur le sexe en termes de conditions de travail et de salaires des femmes qui travaillent, et montre que le travail effectué par la plupart des femmes dans le monde est moins payé que celui effectué par la plupart des hommes. Cela va au-delà du concept fondamental de « salaire égal à travail égal », qui est accepté dans la législation nationale. Il cherche à éliminer les stéréotypes sexistes et introduit le concept de « salaire égal pour un travail de valeur égale ».
Au Tchad, une première enquête a été menée en 2010 à l’Hôpital Général de Référence Nationale de N'Djamena, et une seconde étude entre 2014 et 2015 à l’Hôpital de la Mère et de l’Enfant.
L’enquête et l’étude mettent en évidence les difficultés auxquelles doivent se confronter les travailleuses pour assurer les bases d’une plus grande égalité dans la division du travail, l’accès à la formation et à l’information, la distribution des richesses et des ressources, la participation à la prise de décisions et l’exercice du pouvoir. Elles soulignent que les femmes sont sous-représentées dans les organes de Direction et de prise de décisions, situation qui se reflète dans l’environnement psychosocial et socioculturel du pays, dans lequel les femmes ont un accès limité à une bonne éducation, à la formation et à l’information. Ceci, en contrepartie, a eu un effet préjudiciable sur la valeur de l’emploi des femmes.
Les premiers résultats de l'enquête et de l'étude ont été portés à l'attention des travailleurs/euses et des gestionnaires des deux hôpitaux, qui ont renforcé leur engagement à promouvoir la valeur des emplois féminins.
Le projet a permis une introduction aux notions de base de l'équité salariale, une compréhension de la différence entre les salaires des hommes et des femmes, une forte mobilisation des femmes dans les syndicats et la syndicalisation des femmes, la conscience des femmes de leur situation, la redynamisation des comités de femmes, la sensibilisation des administrateurs hospitaliers et leur engagement à collaborer pour réduire l'écart entre les salaires des hommes et des femmes. À long terme, cela devrait permettre une meilleure évaluation des postes de travail et une rémunération plus équitable pour les travailleuses.
Entretien avec Demba Karyom, jeune juriste et jeune dirigeante syndicale
Demba Karyom s’en souvient comme si c’était hier. Elle avait huit ans quand, un soir, elle s’est interposée entre son père et sa mère. « Je ne supportais plus de le voir lui crier dessus, je lui ai dis que quand je serai grande, je serai juge et je le ferai emprisonner. Mon père est resté bouche bée, et à partir de ce jour là, il a cessé d’ennuyer ma mère », raconte-t-elle, avec fierté. Aujourd’hui, Demba travaille dans au Tribunal de grande instance de Ndjamena, comme elle en rêvait, mais pas comme juge. « J’ai réalisé que je ne voulais pas juger les autres, surtout dans cet environnement corrompu. Je voulais les écouter, c’est pour cela que je suis devenue greffière, et aussi syndicaliste », explique celle qui, à 33 ans, est Présidente du Comité des Femmes du syndicat national de sa corporation.
En tenant tête à son père, elle n’a pas seulement affirmé son rejet d’un système patriarcal, mais aussi ce qu’elle identifiera plus tard comme du féminisme. « Ma mère a eu six enfants, que des filles, et tout le monde se moquait d’elle à cause de cela. Pourtant, moi j’ai réussi, alors que beaucoup d’hommes de la famille sont des incompétents », se souvient la jeune femme. Cette discrimination, Demba l’a retrouvée au tribunal. En théorie, dans la fonction publique, à diplôme égal, salaire égal. Mais aucune femme n’est nommé à un poste de responsabilité, elles n’ont donc aucun des avantages qui en découlent. Alors qu’il est en théorie possible de postuler pour des formations supplémentaires, qui permettraient d’accélérer les carrières, les candidatures des femmes sont ignorées. Les hommes ont le droit à ce qu’il y a de mieux, jusqu’au ridicule : « ils ont les meilleures chaises dans les bureaux, on nous laisse les cassées, j’ai du les faire changer ! », s’amuse la militante.
Changer les mentalités n’est pas simple, même du côté des femmes. «Elles sont souvent réticentes quand on appelle à la mobilisation, elles disent qu’elles doivent s’occuper des familles, elles aussi sont prisonnières des stéréotypes. Mais quand elles prennent conscience de l’injustice, ce sont les plus dynamiques », témoigne Demba. Le 6 décembre 2016, elles étaient nombreuses à venir protester contre les retards dans les paiements de salaires des fonctionnaires, brandissant des affichettes sur lesquelles on pouvait lire « les femmes veulent accoucher dans de bonnes conditions », « les enfants ont faim ». Dès l’aube, des gendarmes et des agents de la garde nationale, lourdement armés, ont bloqué cette marche des femmes, démontrant ainsi l’inquiétude qu’elle a provoquée au sein du gouvernement.
Pour inciter les femmes et les jeunes filles à revendiquer leurs droits, Demba n’a qu’un credo : la discrimination positive. Un voyage est organisé ? Elles doivent être prioritaires. Une formation, un atelier de réflexion ? Idem. La militante a aussi un secret : se trouver un modèle au sein du syndicat, et partager avec lui ses doutes, ses questions, ses inquiétudes. Pour elle, la référence est Ndoukoulgone Rachelle, la vice-présidente du syndicat des travailleurs de l'action sociale et de la santé (SYNTAS). Demba la consulte à chaque fois qu’elle a la sensation d’être bloquée, y compris sur des questions personnelles. Comment a-t-elle fait, à son époque, pour concilier son travail avec une vie de famille et faire comprendre à son époux son engagement dans le syndicat ? « C’est un milieu tellement masculin que les maris sont convaincus que nous y allons pour nous faire draguer. Mais elle m’a encouragé, en me disant de faire comme j’en ai envie », raconte la jeune greffière. Elle est fière de voir le parcours de Rachelle qui, aujourd’hui, participe à des négociations au plus haut niveau. « Elle me montre le chemin, c’est ma Mandela à moi », conclut-elle en riant.
La question de la mobilisation des femmes renvoie aux difficultés d’organisation des syndicats. Demba rappelle qu’il existe des ateliers destinés aussi bien aux femmes qu’aux jeunes, mais elle regrette « le désordre et l’absence de visibilité : ce que nous organisons, nos partenaires ne le savent pas, et vice-versa, on perd beaucoup d’énergie ». Cette faiblesse vient des difficultés à maintenir des activités de façon régulière, et à les évaluer. C’est aussi le résultat des ressources limités des syndicats. L’ISP a fait campagne pour le check off, la retenue à la source des cotisations syndicales, jusqu’alors inconnue par la majorité des membres. La majorité des syndicats sont désormais en faveur de cette mesure, qui reste pour l’heure refusée par le gouvernement.
Confronté à une profonde crise économique, provoquée notamment par la chute des cours du pétrole, les autorités ont réduit de moitié les indemnités des fonctionnaires. «Nous payons les pots cassés pour la mauvaise gestion de l’administration, c’est inacceptable, nos salaires sont déjà dérisoires », s’insurge Demba. Alors que le gouvernement envisage de nouvelles coupes, les syndicats multiplient les manifestations et exigent plus de transparence. «Ils nous ont pris nos indemnités, qu’ont-ils fait de notre argent ? Dans quoi l’ont-ils investi ? », interpelle la jeune femme.
Appeler à la grève est toutefois devenu de plus en plus difficile, les autorités ayant réduit à trois jours le temps maximal de grève légal. Pour tenir tête au gouvernement, la seule option est l’union, comme y incite l’ISP. Demba se rappelle qu’en 2015, quand une campagne de sensibilisation a été organisée pour empêcher le Président Idriss Déby de briguer un nouveau mandat, six syndicalistes ont été jetés en prison, dont Younous Mahadjir, le représentant de l’ISP au Tchad. « Nous nous sommes tous mobilisés, avec d’autres organisations de la société civile et des partis politiques, et l’ISP a dénoncé la politique du gouvernement, ils ont été obligés de nous relâcher, car ils savent qu’ensemble, nous avons la capacité de tout bloquer », dit-elle. Le rassemblement a rendu les syndicats plus crédibles aux yeux du gouvernement, assure-t-elle. « Et quand ils voient que l’ISP est avec nous, ils nous respectent plus, cela change le rapport de force », conclut-elle.
Invitée au dernier Congrès de l’ISP, Demba en parle encore avec des étoiles dans les yeux. «Non, seulement je suis revenue avec un carnet d’adresses rempli, mais j’ai rencontré des personnes merveilleuses, j’ai vu que ce que je vis dans mon pays, beaucoup d’autres le vivent, parfois dans des conditions encore plus dramatiques, cela a renforcé encore plus dans mon engagement pour mon syndicat, mon peuple, et ma famille», raconte-t-elle. Maman d’une petite fille de huit ans, elle est fière de retrouver chez elle la même détermination, mais espère lui léguer un monde plus juste. En attendant, Demba a déjà emporté une victoire : « l’année dernière, j’étais à Abidjan pour une réunion de travail et on m’a invitée à participer à un débat sur la radio RFI. Mon père était avec ma fille et il l’a appelée, pour qu’elle m’écoute et qu’elle soit fière de moi », raconte-t-elle, émue. Lui non plus n’a jamais oublié quand, il y a un quart de siècle, sa petite fille de 8 ans lui a interdit d’élever la voix contre sa femme.
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