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Les nouveaux défis de l’eau en Uruguay

21 Octobre 2014
Mesa redonda
Le bilan est positif, même s’il reste « de nombreux défis à relever» ; c'est ce que retiendront les participants à la table ronde « Dix ans après la réforme constitutionnelle sur la défense de l’eau » organisée par la Comisión Nacional en Defensa del Agua y la Vida (CNDAV), l’organisme uruguayen de la défense de l’eau, le jeudi 9 octobre, au siège de la PIT-CNT.

Par Mariel Jara

Dix années se sont écoulées depuis octobre 2004, lorsque le peuple uruguayen s’est prononcé, avec 64,7% des voix, en faveur de la régie publique des services d’eau, considérant l’eau comme un bien public qui doit être administré exclusivement par l’État. Cette volonté souveraine a obligé le pays à réformer la Constitution de la République et, depuis lors, l’Uruguay part du principe que l’eau est un droit humain essentiel qui ne peut être privatisé.

Ainsi, l’Uruguay est devenu un précurseur et une référence en ce domaine, et la déclaration qui considère l’eau comme un droit humain a été soutenue en 2010 par l’Organisation des Nations Unies.

Pour évaluer ce qui s’est passé depuis ce moment-là et connaître les avancées réalisées et les défis qui restent à relever, la Comisión Nacional en Defensa del Agua y la Vida (CNDAV) a organisé cette table ronde, à laquelle ont participé Daniel González, responsable de l’organisme national de l’eau et de l’assainissement (DINAGUA) ; Óscar Rodríguez, de l’Internationale des services publics (ISP) ; le Docteur Marcel Achkar, chercheur à la Faculté de sciences et membre de l’organisme REDES-Amigos de la Tierra et du programme Uruguay Sustentable ; Carlos Sosa, Président de la fédération de fonctionnaires Federación de Funcionarios de Obras Sanitarias del Estado (FFOSE) ; l’ingénieure agronome Anahit Aharonian, de la CNDAV.

Avancées et nouvelles menaces

Les participant(e)s à la table ronde s’accordent à dire que la réforme constitutionnelle relative à l’eau a progressé de manière significative et qu’elle est devenue une référence, à la fois au niveau national et international, mais ils admettent que certains aspects de la réforme n’aboutissent pas et suscitent une certaine préoccupation.

« Même aujourd’hui, à Maldonado (le département dans lequel se trouve la ville de Punta del Este), 40% des actions sont réalisées par des privés », souligne Carlos Soza, le Président de la FFOSE qui a rappelé lors de son exposé les faits les plus marquants de la lutte menée par les organisations sociales et les syndicats pour refuser la privatisation des services publics, notamment de l’eau.

En évaluant ces dix années, Soza ajoute : « Je peux dire qu’aujourd’hui, la lutte de notre peuple pour faire appliquer la réforme constitutionnelle dans son intégralité est plus d’actualité que jamais. Mais je pense aussi qu’il s’agit d’un moment de fierté, de satisfaction et de reconnaissance envers notre peuple et nos camarades, qui ont réussi à intégrer cet élément important à la réforme. Nous avons démontré qu’il est effectivement possible, en s’unissant et en se mobilisant, d’atteindre les objectifs que nous nous sommes fixé, ce qui est très louable ».

Pour sa part, le Docteur Marcel Achkar, de la Faculté de sciences, admet que la réforme de 2004 a marqué une étape en impliquant le grand public dans la gestion et le contrôle de l’eau. Cependant, il estime que le texte approuvé aurait dû être plus explicite, afin d’éviter que d’autres menaces, comme la privatisation de la terre, l’intensification de l’agriculture et l’achat des terres par les étrangers à des fins agricoles, énergétiques ou pour l’extraction minière, n’affectent le système hydrologique, comme cela se produit actuellement.

« Si nous voulons établir des plans pour garantir une gestion durable de l’eau, nous ne pouvons pas laisser de côté la question des sols, parce qu’ils sont intimement liés à l’eau. Un territoire dégradé va produire une eau de mauvaise qualité. Il est important d’en tenir compte lorsque nous élaborerons un plan national des ressources hydriques », précise-t-il.

Il affirme par ailleurs que, « en résumé, la réforme est un processus très intéressant, qui a confronté la société uruguayenne à une série de difficultés, ce qui l’a fait énormément progresser. Maintenant, nous devons accélérer le rythme. Les processus de dégradation, de contamination, de privatisation et de contrôle des ressources naturelles par les entreprises transnationales sont encore assez limités et nous avons encore le temps de les inverser. Cette réforme nous a appris que lorsqu’un objectif est clair et que la société le prend en charge et se l’approprie, il est possible de ne pas mener à bien la privatisation. Le mouvement que le processus de réforme a déclenché a poussé vers la sortie une  entreprise très agressive qui s'était implantée en Amérique latine pour avoir la mainmise sur les ressources hydriques. Et pourtant le peuple uruguayen a pris le dessus et l’entreprise a dû partir » constate-t-il.

Daniel González, le directeur de DINAGUA, met également l’accent sur les avancées dues à la réforme constitutionnelle et il mentionne la situation actuelle de la législation en la matière. « Les avancées réalisées ces dix dernières années nous suffisent-elles ? Non. Nous aimerions avoir beaucoup plus à ce stade. Nous sommes tout de même conscients d’une chose : imaginez que pendant ces dix années nous ayons eu d’autres interlocuteurs, d’autres gouvernements qui auraient favorisé la privatisation, dans un Uruguay bien différent de celui auquel nous nous adressons aujourd’hui… Pour conclure, le bilan se compose de nombreux éléments favorables, de choses qu’il a été possibles de faire progresser à partir de ce que la réforme avait défini. Mais la réforme ne se met en place que si nous agissons, si nous créons des espaces de participation et si nous exerçons des pressions », déclare-t-il.

L’eau doit être un droit humain dans la pratique

Óscar Rodríguez, qui représente l’ISP, félicite le peuple uruguayen pour cette commémoration et les succès qu’elle implique. De même, il rappelle certains des objectifs de l’ISP dans le domaine de l’eau et de l’assainissement en Amérique latine, visant notamment à créer une plate-forme continentale, à laquelle se rallierait la FFOSE, afin de lutter aux côtés des travailleurs organisés dans les syndicats des entreprises publiques d’eau. « Nous envisageons également de soutenir les projets de renforcement des réseaux qui nous accompagnent dans cette stratégie de lutte pour que l’eau devienne un droit humain dans la pratique, pas seulement une déclaration sur le papier », indique-t-il.

Il ajoute que l’ISP encourage actuellement les instances qui s’efforcent de coopérer et d’échanger des expériences et des informations avec d’autres organisations importantes d’Amérique latine, de même qu’elle tient à consolider plusieurs alliances dans le secteur de l’eau. L’ISP cherche à favoriser les partenariats entre entreprises publiques – par opposition aux partenariats public-privé – à influencer les réformes publiques afin que le droit à l’eau soit mieux reconnu, à promouvoir l’utilisation de l’eau et à créer un binôme eau-environnement. « Et bien entendu, un de nos objectifs est de continuer à soutenir la FFOSE ces dix prochaines années, au moins, dans sa lutte pour le droit à l’accès à l’eau en tant que droit humain fondamental ».

Ensuite, Anahit Aharonian signale que plusieurs chercheurs uruguayens et étrangers ont dénoncé l’impact environnemental de l’exploitation des forêts et de la production de cellulose et de soja en Uruguay, mais que, malheureusement, personne ne les écoute.

Elle explique que ces grandes plantations industrialisées nécessitent beaucoup d’arrosage et d’engrais, tels que l’azote et le phosphore, qui sont nocifs pour les eaux du pays. Et pour pouvoir les rendre potables, l’État doit engager des frais. D’un autre côté, ces plantations génèrent des anomalies au niveau des sols, dont une grande partie sont irréversibles.

Anahit Aharonian appelle par ailleurs à tenir compte du fait que l’industrie minière et l’agriculture industrielle entraînent une consommation très élevée d’eau et d’énergie et comportent un risque de contamination, outre la construction accélérée d’immenses routes d’accès qui, bien souvent, détruisent tout sur leur passage, qu’il s’agisse de communautés autochtones ou d’écosystèmes, entre autres. Et c’est l’État qui doit finir par en assumer tous les coûts.

« Les entreprises forestières ont enregistré des bénéfices au détriment du capital environnemental, qui ne se comptabilise pas et cela s’est traduit par la perte de grandes quantités d’eau, la dégradation de la biodiversité, des sols, de l’habitat des êtres vivants et des fonctions de l’écosystème », met en garde Anahit Aharonian.

Elle conclut en disant : « Nous célébrons aujourd’hui les dix ans de la réforme de l’eau ; certes, nous avons chassé les entreprises transnationales de l’eau, mais il existe d’autres menaces devant lesquelles nous devons rester vigilants et informés. Nous devons être conscients des dommages déjà existants et de ceux que nous pouvons empêcher. Nous n’avons pas à payer pour réparer une partie du désastre provoqué par le secteur privé, qui garde pour lui les bénéfices en nous laissant les pertes. C’est une chose que nous devons internaliser. Nous devons nous informer, faire pression et influer sur les changements nécessaires dans notre pays pour préserver nos biens communs ».

Les pièces jointes 

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