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Le financement de la protection sociale

09 Janvier 2019
Le mouvement syndical international examine actuellement la question du financement de la protection sociale aux niveaux national et international. L’ISP et d’autres syndicats ont participé à la Conférence mondiale sur le financement de la protection sociale, organisée par la Confédération syndicale internationale (CSI) et la Fondation Friedrich Ebert (FES), les 17-18 septembre 2018, à Bruxelles.

L’ISP milite depuis longtemps pour une protection sociale universelle financée par le secteur public. Consciente de la nécessité d’agir de manière concertée pour parvenir à la protection sociale universelle et de l’importance des socles de protection sociale, l’ISP fut l’une des organisations fondatrices de la Coalition mondiale pour les socles de protection sociale, et elle reste active au sein de l’Équipe centrale de la Coalition, en tant que Fédération syndicale internationale, aux côtés de la CSI.

Les socles de protection sociale permettent d’atteindre trois grandes cibles des Objectifs de développement durable :

  • ODD 1.3 : Mettre en place des systèmes et mesures de protection sociale pour tous, adaptés au contexte national, y compris des socles de protection sociale, et faire en sorte que, d’ici à 2030, une part importante des pauvres et des personnes vulnérables en bénéficient ;
  • ODD 3.8 : Faire en sorte que chacun bénéficie d’une couverture santé universelle, comprenant une protection contre les risques financiers et donnant accès à des services de santé essentiels de qualité et à des médicaments et vaccins essentiels sûrs, efficaces, de qualité et d’un coût abordable ;
  • ODD 8.b : D’ici à 2020, élaborer et mettre en œuvre une stratégie mondiale en faveur de l’emploi des jeunes et appliquer le Pacte mondial pour l’emploi de l’Organisation internationale du Travail.

La responsabilité de la mise en œuvre des systèmes et des socles de protection sociale incombe aux gouvernements. C’est pourquoi il est important de s’opposer aux perspectives qui présentent le recours au secteur privé pour financer la protection sociale comme une alternative neutre à la protection sociale assurée par le secteur public. La conférence mondiale de septembre a donné lieu à des discussions qui ont permis d’attirer l’attention sur les conséquences négatives d’une telle « innovation ».

La protection sociale est un droit humain[1], ce qui est primordial pour parvenir au développement durable, notamment réduire la pauvreté et l’inégalité sociale et bâtir une société plus inclusive. Ainsi, les gouvernements sont tenus de prendre des mesures décisives à l’échelle nationale et internationale pour mettre en place une protection sociale universelle[2].

L’argument selon lequel « la protection sociale n’est pas abordable » est inacceptable car il existe « des alternatives, même dans les pays les plus pauvres »[3], telles que la réaffectation des dépenses publiques, l’augmentation des recettes fiscales, l’amélioration de la couverture de sécurité sociale et des revenus contributifs, l’élimination des flux financiers illicites, le recours aux réserves budgétaires et aux réserves de devises, la gestion de la dette – c’est-à-dire en empruntant ou en restructurant la dette existante – et l’adoption d’un cadre macroéconomique plus accommodant.

Le financement de la protection sociale se heurte à de réelles difficultés. Il convient toutefois de les placer dans la perspective plus générale du « consensus » néolibéral, qui repose sur la réduction des dépenses sociales, sur la privatisation et la déréglementation. Pour faire face au problème du financement de la protection sociale, nous devons nous battre pour renforcer notre influence politique, en utilisant notamment une approche alternative qui place clairement le peuple au-dessus du profit dans le processus politique, aussi bien à l’échelle nationale qu’internationale.

Dix ans après la crise économique et financière mondiale, les mesures d’austérité n’ont fait qu’aggraver la déplorable vulnérabilité de la majeure partie de la population humaine, en particulier dans les pays à revenu faible et intermédiaire. C’est pourquoi le mouvement syndical et la société civile doivent impérativement adresser un message clair qui affirme qu’un financement durable de la protection sociale est non seulement possible, mais également nécessaire pour garantir la stabilité sociale et la reprise économique. La voix des travailleurs/euses et le mouvement plus général de la société civile doivent être suffisamment audibles dans le discours sur le développement et le processus politique pour montrer que seule une approche fondée sur les droits permettra d’atteindre cet objectif.

Ainsi, nous devons rester méfiants vis-à-vis des « innovations en matière de financement de la protection sociale » fortement ancrées dans la logique de la privatisation, telles que les contrats à impact social, qui sont présentés comme une « solution reposant sur des données probantes »[4]. Le lancement des contrats à impact social, en 2017 en Colombie, a d’ailleurs été qualifié de « partenariat public-privé innovant » permettant de financer la protection sociale[5]. Ce phénomène est révélateur de l’expansion des projets de contrats à impact social, qui sont le nouveau visage d’une « privatisation en catimini »[6]. Or, les PPP se caractérisent généralement par « de multiples inconvénients et des avantages limités »[7] et devraient de ce fait être proscrits pour le financement de la protection sociale.

L’ISP participe à des travaux de recherche et à la sensibilisation politique dans le sens de la Recommandation n°204 de l’OIT concernant la transition de l'économie informelle vers l'économie formelle, en particulier dans la sous-région de l’Amérique latine. L’exemple d’AMUSSOL, en République dominicaine, indique qu’il est nécessaire « d’encourager la formalisation de l’économie » pour consolider les acquis obtenus en matière de protection sociale au profit des travailleurs/euses de l’économie informelle[8]. À cet égard, il est indispensable que l’État prenne en charge la sécurité sociale afin d’instaurer une protection sociale universelle.

Le Rapport sur le développement mondial 2019 considère la protection sociale universelle comme un mécanisme permettant de faire face à la hausse du nombre de personnes qui ne sont pas couvertes par les régimes contributifs, en raison du changement de la nature du travail. Mais ce changement n’est pas seulement technique. Le travail précaire se généralise, précisément à cause de la fragilisation des institutions du marché du travail qui s’opère depuis plusieurs décennies. En substance, la protection sociale universelle telle qu’elle est décrite dans le rapport apparaît d’un côté comme une nouvelle forme de « ciblage » des prestations de protection sociale et des filets de protection sociale et, de l’autre côté, il semble que la protection sociale proposée par les IFI s’étende aux « dépenses sociales ».

En outre, comme le souligne justement le Comité directeur international de l’Université mondiale du travail, « ce que propose le Rapport provisoire revient effectivement à déplacer toute la charge du financement de la protection sociale vers l’État-nation », au profit des entreprises multinationales.

D’après Ortiz et al (op. cit.), de nombreuses observations indiquent que la principale difficulté des dépenses de protection sociale n’est pas tant le manque de ressources que les politiques publiques choisies, notamment celles qui découlent des conditions imposées par les institutions financières internationales, et le soutien tacite que les États accordent au profit, au-dessus du peuple. La diminution artificielle du financement de la protection sociale a été « aggravée par l’austérité et les réformes du travail précédemment mises en place, telles que le gel des salaires ou la baisse des salaires minimum, la déréglementation du marché du travail, la privatisation de la sécurité sociale et les régimes de protection sociale ciblés »[9].

Ainsi, l’ISP préconise la modération à l’égard des méthodes « innovantes » qui ne s’inscrivent pas clairement dans une logique fondée sur les droits humains et hostile à l’austérité. La protection sociale repose sur notre solidarité en tant qu’êtres humains et sur la supériorité du financement public et de la prestation publique. Elle doit être rattachée à d’autres domaines importants de notre travail qui visent à bâtir une société meilleure et plus inclusive, à privilégier la justice fiscale et à renforcer la coopération au développement centrée sur la personne.




[1] Article 22 de la Déclaration universelle des droits de l’homme

[2] Pacte international relatif aux droits économiques et sociaux, Convention n°102 de l’OIT concernant la sécurité sociale (norme minimum), 1952, ODD 1.3

[3] Ortiz, I., Cummins, M. et Karunanethy, K., 2015. Fiscal space for social protection and the SDGs: Options to expand social investments in 187 countries., ESS Working Paper 48, Bureau international du travail, Genève

[4] Sharma, A., 2017. Innovations in social protection financing: Impact Bonds. http://socialprotection.org/learn/blog/innovations-social-protection-financing-impact-bonds

[5] Ortiz et al, op. cit.

[6] NUPGE, 2016. Privatization by Stealth: The Truth About Social Impact Bonds. https://nupge.ca/sites/default/files/documents/Privatization-by-Stealth-Oct-2016.pdf

[7] ECA 2018. Public Private Partnerships in the EU: Widespread Shortcomings and Limited Benefits. https://www.eca.europa.eu/Lists/ECADocuments/SR18_09/SR_PPP_EN.pdf

[8] Ghesquière, H.,2016, Amussol: informal workers have access to social security in the Dominican Republic!, WSM Thematic Report Latin America No. 2, Wereldsolidariteit-Solidarité Mondiale.

[9] Lettre ouverte adressée à Jim Yong Kim, le Président de la Banque mondiale, de la part de Juan Pablo Bohoslavsky, Expert indépendant des Nations Unies, concernant les effets de la dette extérieure et d’autres obligations financières internationales connexes des États sur le plein exercice de tous les droits humains, en particulier des droits économiques, sociaux et culturels : https://www.ohchr.org/Documents/Issues/Development/IEDebt/LetterWorldBankAugust2018.pdf

Voir aussi